La recherche sur le cerveau des méditants, en fixant des électrodes sur la tête, a commencé dans les années 1960. La première étude quantitative moderne centrée sur les variations électriques dans le cortex, ou ondes cérébrales, a démontré des effets de fréquence gamma radicalement différents chez les méditants bouddhistes tibétains très expérimentés (dont Matthieu Ricard) comparés aux novices, en utilisant trois techniques distinctes : concentration continue sur un objet, ‘présence ouverte’ sans objet, état d’amour et de compassion non-référentiels [1]. Depuis lors, il y a eu un flux croissant de recherches utilisant des technologies de plus en plus avancées. Les variations d’ondes électriques, ainsi que les zones du cerveau actives dans les différentes phases de la méditation, sont corrélées avec les commentaires des méditants sur leur expérience à différents moments du test. Un certain nombre de recherches ont porté sur les particularités de différentes formes de méditation et enregistré leurs effets spécifiques sur l’activité cérébrale.
La méditation est un ensemble assez hétérogène de pratiques visant à promouvoir le bien-être. La notion particulière de bien-être qui a amené des méditants experts à consacrer une grande partie de leur vie à la méditation était bien sûr très différente des idées courantes de bien-être, de confort et de bonheur. Cependant, ces méditants accomplis affichent des capacités de concentration, de gestion du stress, de compassion et de bonheur global qui sont clairement souhaitables pour tout le monde. Comme ils avaient déjà médité depuis de nombreuses années, il n’était pas possible de faire des études sur la durée pour en comprendre le développement; ces expériences ne montraient pas non plus à quel point de tels effets pourraient être reproduits par des pratiques de méditation plus réduites. Pour voir dans quelle mesure les avantages de la méditation peuvent être vécus par tout le monde, des méditants novices ont été formés à diverses techniques sur des semaines ou des mois et les effets évalués à travers un large éventail d’études.
MBSR
Vers 1980, Jon Kabat Zinn a développé une forme sécularisée de formation à la pleine conscience, basée principalement sur son expérience de la méditation Zen et Vipassana. Il l’a appelé Réduction du Stress par la Pleine Conscience (Mindfulness Based Stress Reduction MBSR). Cette technique standardisée, avec des objectifs simples et clairement définis, peut être enseignée par des personnes ayant suivi un programme de formation relativement court. Avec son profil laïc et scientifique, cette méthode est facilement acceptable pour les institutions et se trouve maintenant de plus en plus utilisée dans les hôpitaux, les écoles et les lieux de travail.
Bonheur, résilience, compassion
Les contributions les plus évidentes de la méditation et de la pleine conscience dans le domaine de la santé sont d’ordre psychologique: une réduction du stress, une résilience accrue face aux événements négatifs et un sentiment général de bien-être qui ne dépend pas de circonstances extérieures. Des études récentes ont visé l’aspect de la compassion et les effets prosociaux et de bien-être général des méditations qui la développent. Une étude, menée par Tania Singer et son équipe au Max Planck Institute à Leipzig (voir photo), associant des méthodes diverses pour comparer les réactions de méditants experts avec celles de volontaires, était suivie d’une étude sur des méditants novices participant à un programme de méditation de plusieurs mois [2].
Santé et thérapies
La méditation a été jugée efficace en thérapie pour le déficit de l’attention et pour la dépression. Elle a été utilisée comme traitement dans des cas de comportements addictifs et de syndrome de stress post-traumatique. Elle s’est avérée utile pour réduire le stress dans les prisons, où des efforts considérables ont été déployés par divers groupes; par ailleurs, elle améliore la concentration et amène à des relations plus harmonieuses dans les écoles.
En dehors de l’influence générale du bien-être psychologique sur la santé physique, des changements physiologiques dans le corps (dont des indications de réponses immunitaires améliorées) ont été constatés immédiatement après des périodes intenses de méditation. C’est un domaine qui mérite un examen plus approfondi, en particulier pour voir s’il y a des effets à long terme.
Une étude réalisée en 2005 (Pagnoni & Cekik) a montré que les cerveaux de pratiquants de Zen âgés de 50 ans ne présentaient aucune perte de matière grise par rapport à leurs homologues beaucoup plus jeunes. Une différence significative était présent dans le groupe témoin. En 2017, à Caen (France) Gaël Chételat et son équipe ont étudié les cerveaux de six sujets de 65 ans et plus ayant médité pendant au moins 10,000 heures, et de 67 non-méditants, en utilisant l’imagerie par résonance magnétique pour mesurer la structure du cerveau, et la tomographie par émission de positrons de fluorodeoxyglucose pour en mesurer les fonctionnements. Les méditants montraient un niveau de déclin, à la fois cognitif et du cerveau, nettement moindre que le groupe témoin. Cette étude pilote est aujourd’hui suivie d’une étude plus large menée en association avec Antoine Lutz à Lyon, intitulée ‘Silver Santé’, qui examinera également les effets de la méditation chez des méditants seniors novices.
Dans le passé, les recherches en psychologie se sont souvent concentrées sur les particularités de troubles psychologiques. Il existe des thérapies orientées vers l’exploration des blessures ressenties. Les pathologies graves se traitent avec des produits qui en atténuent les symptômes. La pratique de la méditation peut être utile dans des phases moins aiguës. Elle trouve sa place dans une thérapie mettant en avant le développement de compétences positives favorisant le bien-être et permettant de se libérer de processus névrotiques habituels. Le principe est que nous pouvons changer volontairement nos perspectives et nos habitudes pour optimiser notre façon de vivre. Les développements dans les neurosciences ont montré que le cerveau est un réseau en flux constant. Sa neuroplasticité, c’est-à-dire sa capacité à développer constamment de nouvelles voies, fait que même à un âge avancé, nous pouvons changer. Dans ce contexte, le bonheur et le bien-être, la stabilité mentale et la compassion, peuvent être développés par l’entraînement. Bien qu’une telle approche puisse être utilisée dans le traitement des pathologies, c’est également une technique de bien-être qui convient à tous ceux qui cherchent une façon plus cohérente de vivre, avec moins de stress et plus de satisfaction.
La théorie et la pratique
Grâce à la méditation, les individus peuvent acquérir une meilleure compréhension de leur propre expérience subjective et une sensibilité accrue quant à l’expérience des autres. Il convient toutefois de noter que la méditation, même dans ses formes profanes, s’accompagne d’une vision du monde, de valeurs et d’attitudes qui sous-tendent une telle compréhension. Nous nous sommes focalisés ici sur ce qui se passe dans le cerveau pendant que nous méditons, du point de vue de la neuroscience. Nous pouvons aussi considérer la méditation et la pleine conscience dans le cadre de notre vécu dans un contexte social. D’un autre point de vue, « la pleine conscience ... est un mode de cognition habile et incarnée qui dépend directement non seulement du cerveau, mais aussi du reste du corps et de l’environnement physique, social et culturel. » L’attitude avec laquelle nous abordons la méditation, notre posture physique, notre façon de respirer, le lieu, le temps, jouent tous un rôle. Et, en effet, pour que la méditation atteigne son plein potentiel, elle doit faire partie d’une formation globale de l’esprit qui touche tous les aspects de notre vie.
Références
- “Long-term meditators self-induce high-amplitude gamma synchrony during mental practice” (Antoine Lutz, Lawrence L. Greischar, Nancy B. Rawlings, Matthieu Ricard and Richard J. Davidson) http://www.pnas.org/content/101/46/16369.full. Richard Davidson a poursuivi son travail en créant le Center for Healthy Minds à l’Université de Wisconsin. Leur site propose des informations intéressantes en grand nombre mais uniquement en anglais.
- Ces recherches ont été accompagnées d’un livre électronique associant des regards différents sur la compassion, disponible gratuitement, en anglais et en allemand. D’un intérêt particulier, voir la page 345 de cette œuvre. Clifford Saron (chercheur à l’université de Californie) raconte de façon très vivante (en anglais) l’évolution du Shamatha Project, depuis ses rencontres avec Francisco Varela en 1990 et Alan Wallace en 1992 jusqu’à l’étude menée en 1997 impliquant 60 personnes. La moitié d’entre elles ont participé à un programme intensif de méditation (créé et guidé par Alan) et les autres constituaient le groupe témoin de non-participants. Ce programme est la source des cours d’Alan Wallace dans Imagine Clarity.
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Voir les détails de ce programme, présentés de façon abordable (site multi-langue).
- « En psychiatrie, on prête une attention toute particulière au programme associant thérapie cognitive et méditation, ou MBCT, pour Mindful Based Cognitive Therapy, ou thérapie cognitive basée sur la pleine conscience. Cette approche a montré son efficacité dans des situations mettant souvent les thérapeutes en échec, notamment dans le cadre de la prévention des rechutes chez les patients ayant présenté trois épisodes dépressifs (ou davantage). Ainsi, une étude réalisée par le psychologue cognitiviste John Teasdale de l’Université d’Oxford a révélé que les rechutes sont moins fréquentes durant la période de suivi et, si elles ont lieu, elles se produisent plus tard. Des effets similaires sont observés dans certaines dépressions résistantes ou chroniques. Toutefois, la méditation de pleine conscience n’a pas été à ce jour validée lors des périodes aiguës de la maladie dépressive, et reste avant tout un outil de prévention. » (Christophe André, psychiatre à l’hôpital Sainte Anne, Paris, 2010)
- Evan Thompson, “Looping Effects and the Cognitive Science of Mindfulness Meditation,” dans David L. McMahan et Erik Braun, Meditation, Buddhism, and Science (New York: Oxford University Press, 2017), pp. 47-61.