Mind & Life est né en 1987 d’une rencontre entre Tenzin Gyatso, le 14e dalaï-lama, Adam Engle, avocat et entrepreneur, et le neuroscientifique Francisco Varela. Ils comprenaient bien que la science était devenue le cadre dominant pour enquêter sur la nature de la réalité et une source de multiples découvertes bénéfiques. Néanmoins pour eux cette approche était incomplète. Alors que la science s’appuie sur l’empirisme, la technologie, l’observation et l’analyse « objectives », le Dalaï-Lama, Engle et Varela étaient convaincus que des pratiques contemplatives raffinées et des méthodes introspectives pourraient et devraient être utilisées comme des instruments d’investigation égaux—instruments qui donneraient à la science une dimension plus subtile et plus large, davantage liée à l’expérience humaine réelle. Année après année, des scientifiques de différents domaines se sont engagés avec le Dalaï-lama dans un dialogue entre les méthodes considérées comme objectives de la science moderne, mises au point en occident au cours des derniers siècles, et l’exploration méticuleuse du monde subjective, l’expérience directe à la première personne, développée depuis des centaines d’années dans les traditions contemplatives de l’orient. En mars de cette année, Matthieu Ricard s’est joint au Dalaï-lama et à 16 scientifiques et penseurs pour le 33e Dialogue Mind & Life intitulé Reimagining Human Flourishing (Réinventer l’épanouissement humain), qui visait à préparer au mieux les jeunes à leurs rôles dans un monde en mutation rapide. Les sujets abordés comprenaient l’apprentissage émotionnel social dans la petite enfance et en classe, des approches novatrices pour enseigner la compassion et l’éthique dans les écoles et des méthodes pour développer les compétences sociales et affectives des élèves par le biais d’une formation centrée sur l’attention et la pleine conscience.
Leurs discussions (en anglais) peuvent être trouvées en vidéo ici et les détails des dialogues passés peuvent être trouvés ici. Matthieu dit de Mind & Life :
J’ai eu la chance de participer à Mind & Life depuis 2000, année de la réunion d’une portée révolutionnaire sur le thème « Faire face aux émotions destructrices » qui s’est tenue à la résidence de Sa Sainteté le Dalaï Lama à Dharamsala, en Inde. Depuis lors, en tant que sujet méditatif, j’ai passé une douzaine d’heures dans les scanners IRM, dans les laboratoires de Richie Davidson, d’Antoine Lutz, de Brent Field et de Tania Singer, et suis devenu un ami proche et un humble collaborateur de nombreux scientifiques éminents qui ont participé aux réunions de Mind and Life, tels que Paul Ekman, Wolf Singer et Daniel Batson. L’un des plus grands accomplissements de Mind & Life est son Institut d’été annuel (Mind & Life Summer Institute). Au cours des sept dernières années, il a attiré plus d’une centaine de jeunes scientifiques du monde entier, de chercheurs expérimentés, de philosophes et de praticiens bouddhistes qui, au cours d’une semaine, explorent un sujet spécifique dans un format associant présentations scientifiques, discussions informelles et séances de méditation, le tout culminant en une journée de silence.
La retraite d’été de Mind & Life
En août de cette année, à la suggestion de Matthieu, j’ai eu le privilège de participer à l’Institut de retraite d’été de Mind & Life Europe (ESRI) en tant qu’ « intervenant contemplatif » avec la guide de méditation et auteure américaine Elizabeth Mattis Namgyal. Elizabeth venait juste de participer à la version sœur de la retraite d’été aux Etats Unis. Le lieu était la Fraueninsel, sur le Chiemsee, un magnifique lac du sud de l’Allemagne. C’est « l’île des femmes », où une communauté de religieuses prie tous les jours au même endroit depuis 900 ans. Notre hôte était Sœur Scholastica, une religieuse écossaise au caractère fort qui connaît bien la méditation et qui encourage les gens très occupées d’aujourd’hui à ménager un espace de pleine conscience dans toutes les situations : « Je leur dis, lorsque vous êtes dans la circulation et que vous devez vous arrêter un instant au feu rouge, profitez-en ! » Le sujet de cette année était La parenté, les conflits et la compassion. La coopération complexe de haut niveau, qui fut un élément fondamental du succès évolutif des êtres humains, requiert une aptitude à se connecter et à se lier aux autres. Cependant, cette aptitude à se connecter s’accompagne également d’une tendance à créer des divisions entre groupes pouvant constituer une source de conflit. Ce sujet revêt une importance particulière à un moment où le climat politico-social semble de plus en plus propice à la génération de conflits plutôt qu’à la promotion de la coopération, de l’ouverture et de la compassion. Il y avait bien sûr une forte dose de neurosciences, qui examinaient les mécanismes de ces phénomènes, individuellement ou à travers différentes cultures, mais aussi des « messages de première ligne » fournis par des intervenants en contact direct avec la situation en Bosnie, l’expérience de familles d’immigrants en Irlande, et les menaces à la liberté et à la démocratie à l’ère du populisme et des médias sociaux. Amy Cohen Varela, épouse de feu Francisco Varela et membre fondateur de Mind & Life, et Michel Bitbol, philosophe des sciences et spécialiste de Schrödinger, ont présenté une petite pièce de théâtre ! Amy, vêtue d’une blouse blanche, a joué le scientifique en insistant sur les preuves validées d’une expérimentation objective, et Michel, portant une châle grenat symbolique, a joué le savant lama tibétain, soulignant que toute expérience est une expérience à la première personne et donnant des nuances à la notion même d’objectivité. De temps en temps, il se levait et mettait un chapeau pour livrer des petits commentaires intrigants tirés d’écrits philosophiques (principalement occidentaux). Cette discussion enjouée était en fait un rappel du dialogue central de Mind & Life. Michel Bitbol a créé une Initiative de phénoménologique contemplative, utilisant la philosophie pour enrichir le débat entre ces approches apparemment opposées mais potentiellement complémentaires. Déjà, les anciennes certitudes sont ébranlées en physique quantique. En neuroscience contemplative, malgré les découvertes en constante évolution, les limites de ce qui peut être quantifié par des mesures externes sont évidentes. C’était merveilleux de voir de jeunes chercheurs de différents domaines se réunir pour écouter et échanger dans un climat très interactif, mêlant neuroscientifiques, sociologues, philosophes et contemplatifs avec du yoga et de la méditation tous les jours et une journée de silence ! En particulier, il était encourageant de constater l’engagement de tous vers un monde meilleur, chacun à sa manière, malgré les vents contraires. À un moment donné, il a été demandé à chacun de se positionner comme optimiste ou pessimiste quant à l’avenir. Les réponses couvraient tout le spectre.
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